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Plan BB pour le monde

Audrey Vernon joue ce soir à Lausanne son spectacle drôle et malin Billion Dollar Baby, où elle explique notre société à un enfant à naître

L’humour engagé, avec Audrey Vernon, se conjugue sur scène, sur les ondes et dans les interviews. (legende)David Couturat
L’humour engagé, avec Audrey Vernon, se conjugue sur scène, sur les ondes et dans les interviews. (legende)David Couturat

Tamara Bongard

Publié le 26.09.2020

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Scène » «Je suis une espèce de vieille Greta Thunberg. Je vais tout faire pour arrêter et pour empêcher la catastrophe», lance Audrey Vernon. La Française ne brigue pas la présidence de la République pour défendre ses convictions politiques, sociales, écologiques et philosophiques, mais utilise son verbe et son humour, au théâtre ou sur les ondes, pour transmettre son engagement. Dans son monde, tout se tient. Son podcast BigBooks, dans lequel elle lit des essais sur le néolibéralisme, le capitalisme et l’argent nourrit son seule-en-scène Billion Dollar Baby, présenté hier et aujourd’hui au CPO de Lausanne.

La promotion et les interviews, elle les utilise «comme la face B du spectacle», pour essayer de faire réfléchir et communiquer, pour dialoguer autour des thèmes qui lui tiennent à cœur. «Les retours permettent d’approfondir le spectacle et en même temps de changer les choses. Car derrière j’ai quand même la volonté de changer le monde», affirme la quadragénaire, imaginant même un théâtre gratuit. «C’est assez désagréable de critiquer le capitalisme, l’argent et en même temps d’être dans un système marchand», dit-elle.

Elle revendique une possibilité de balayer le passé, de rêver à un monde autre que celui des ronds-points et des zones commerciales, de se débarrasser des musées, des bâtiments, du patrimoine, et ce à chaque génération. «On a l’impression de devoir apprendre énormément de choses avant de pouvoir apporter sa touche sur le tableau. Je ne trouve pas cela très juste», constate l’artiste, aux textes maniant l’absurdité et les comparaisons animalières pour agiter les neurones. Son plan B, ou plutôt bébé, transparaît dans Billion Dollar Baby construit autour d’une femme enceinte jusqu’aux yeux, expliquant le monde à son futur enfant. Audrey Vernon vient de reprendre les représentations de cette création, après des mois de confinement.

Comment avez-vous repris la scène après cette pause?

Audrey Vernon: Cet événement exceptionnel a changé beaucoup de choses, il y a moins de légèreté et plus d’attention. J’ai l’impression que les gens sont contents de retrouver le spectacle vivant, qui revêt tout à coup quelque chose de précieux. Les gens m’attendent beaucoup plus qu’à l’ordinaire après le spectacle, pour me parler, comme s’ils avaient besoin d’échanger. Le propos du spectacle, qui a été écrit évidemment avant le Covid-19, prend une autre force après le confinement car il y est beaucoup question de l’Etat, de la pesanteur de l’institution, des infrastructures.

L’avez-vous réécrit en partie ou résonne-t-il simplement différemment désormais?

Je voulais le réécrire, mais en le relisant, je me suis dit que non, tout était déjà en germe dans le texte, ce côté totalitaire que l’on ressent après le confinement. On a l’impression que les Etats démocratiques sont cool, mais quand un événement comme le Covid-19 arrive, on se rend compte qu’il y a de la coercition, des ordres. Pendant le confinement, en France, les gens ont aussi dû sortir avec leur pièce d’identité, subir des contrôles policiers.

Quel a été le déclencheur de l’écriture de ce spectacle?

A la naissance de mon premier enfant, je me suis demandé comment lui expliquer l’absurdité de la violence, de la guerre, du travail, du capitalisme. Nous vivons avec beaucoup de contraintes alors qu’un enfant arrive extrêmement libre, et qu’il faut lui expliquer que tout ne sera pas aussi simple que dans le ventre de sa mère, qu’il y a tout un paquet de règles humaines, un peu absurdes, dont on dépend. J’ai commencé à lui expliquer ce qu’est la Constitution française, le code civil, les institutions… J’ai aussi beaucoup lu sur les peuples autochtones, qui vivent dans une totale harmonie avec la nature, alors que nous, nous avons compliqué les choses. Pour nous nourrir, nous devons passer par le travail, par l’argent. Il faut bien quinze ans d’école pour s’acclimater à ces complications. Je repense souvent à cette phrase de Tolstoï qui considère toute forme de gouvernement comme une institution compliquée.

Avez-vous écrit seule?

C’est un projet franco-suisse, en collaboration avec Delphine Lanza et Dorian Rossel. Nous avons travaillé ensemble dès le début et ils étaient mes partenaires de jeu. Ils m’ont beaucoup aidé à respecter mes instincts et à ne pas me décourager. Ils ont vraiment été mes sages-femmes.

(legende)Vous êtes-vous refusé à aborder certains thèmes?

Le but était de tout dire en 1 h 20. C’était une tentative rigolote: une femme veut tout expliquer à son bébé avant qu’il arrive. Je ne voulais rien laisser de côté, et notamment la partie la plus âpre, le fait que l’on tue des bébés lors de guerres. Il fallait que je l’affronte et que je trouve comment le dépasser, comment vivre avec ça.

Vos spectacles, vos chroniques ou vos interventions dans les médias sont toujours engagés. Pour vous, faire de l’humour léger n’a-t-il pas de sens?

Si, j’adorerais, mais je le ferai après la libération. Quand on aura sauvé la planète, quand on sera passé d’un système compétitif à un système coopératif, là, je ne ferai que de l’humour et peut-être même de l’humour graveleux. Moi, mon but n’était pas du tout de faire des choses engagées, mais quand je suis en larmes devant l’état du monde, je ne peux pas ne rien faire. Je préférerais avoir la puissance d’un Donald Trump pour pouvoir changer les choses plus efficacement. Donald Trump a l’arme nucléaire, pas moi. C’est un grand regret.

Billion Dollar Baby à voir ce soir au CPO, à Lausanne. A écouter également, le podcast BigBooks.

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