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Tradition: «L’évêque est venu me laver les pieds»

Charles Morerod, l’évêque du diocèse, a procédé au rituel du lavement de pieds jeudi soir à La Tour-de-Trême. Un geste d’humilité qui ne va pas de soi pour tout le monde.

Charles Morerod a lavé les pieds de plusieurs paroissiens volontaires de La Tour-de-Trême, jeudi soir. © Jean-Baptiste Morel
Charles Morerod a lavé les pieds de plusieurs paroissiens volontaires de La Tour-de-Trême, jeudi soir. © Jean-Baptiste Morel

Patrick Chuard

Publié le 29.03.2024

Temps de lecture estimé : 4 minutes

«Je leur ai dit de ne pas se laver les pieds pendant trois jours», a déclaré la sacristine de la paroisse de La Tour-de-Trême lorsque l’évêque est arrivé, jeudi soir. Charles Morerod a ri de bon cœur à cette plaisanterie. Il était présent dans le village pour présider la messe du Jeudi-Saint. Celle-ci comporte un rite particulier: le lavement des pieds. C’était la première fois que l’évêque du diocèse catholique de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) venait accomplir ce geste chez les Tourains. Avec un pichet d’eau, il a lavé les pieds de douze paroissiens assis face à l’assemblée pendant la messe. Un seul pied, pour être exact, car l’acte reste symbolique.

L’évêque se lancerait-il dans la pédicure? «Je fais cela parce que Jésus lui-même l’a fait à ses disciples», répond Charles Morerod. L’Evangile de Jean, lu pendant cette messe du jeudi précédant Pâques, le mentionne. Encore faut-il, pour le savoir, fréquenter la messe ce jour de l’année. D’habitude, c’est le curé qui se charge de ce rite. Manuel Oliveira (14 ans), membre du groupe des confirmands de la paroisse, était l’un des douze à tendre son pied pendant la messe. «Sachant qu’il y aurait ce rite, je me suis soigneusement lavé les pieds avant la messe et plutôt trois fois qu’une!» assure le jeune homme, très pudique. D’autant plus que ce rituel est accompagné d’un baiser symbolique de l’officiant sur chaque pied lavé.

«Ce geste ne va pas de soi pour tout le monde, ce n’est pas forcément facile»
Charles Morerod

«Par ce geste du lavement des pieds, Jésus montre qu’il n’est pas venu pour être servi mais pour servir. Dans l’Evangile, les apôtres sont très surpris, car ils estiment que ce n’est pas à lui de faire cela. Ce geste ne va pas de soi pour tout le monde, ce n’est pas forcément facile», reconnaît Charles Morerod. Le texte johannique en fait un exemple: «Si donc moi, le Seigneur et Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres», dit Jésus. L’évêque en profite pour faire de la pastorale: «Cela montre comment Dieu nous invite à nous comporter les uns avec les autres. Ce serait une société idéale, celle où tout le monde regarderait autrui en se demandant comment il peut le servir. C’est nettement mieux que de se demander ce qu’on peut lui prendre, non?»

C’est ce symbole qui a décidé Manuel Oliveira à accepter de faire partie des douze paroissiens aux pieds nus. «L’évêque qui s’abaisse à laver des pieds, c’est fort! Cela montre que nous sommes tous au même niveau. C’était un peu gênant, mais finalement j’ai vécu un beau moment.» Son camarade confirmand, Lucas Grossrieder, est du même avis: «J’étais stressé au départ, mais cela fait partie des expériences qu’on fait une seule fois dans sa vie. Je n’oublierai pas ce moment ni ce message.» Moreno Renz (13 ans) a remplacé quelqu’un qui s’est désisté: «Ce n’est pas facile, parce que tout le monde te regarde.»

Certains refusent

Valeriane Evenga, membre du service catéchèse et jeunesse qui accompagne le groupe d’adolescents en chemin vers la confirmation, assure qu’il a fallu insister pour trouver des volontaires: «Il n’est pas si simple d’accepter d’être servi. Mais vivre un geste concret comme celui-ci vaut mieux que toutes les explications», pense-t-elle. La sacristine Monique Barbey s’est chargée de chercher d’autres volontaires parmi les paroissiens: «J’ai demandé à quelques fidèles qui viennent régulièrement à la messe. Une ou deux personnes ont refusé, tandis que d’autres se sont présentées spontanément.»

L’évêque procède chaque année au lavement des pieds dans des paroisses différentes. «J’essaie d’être présent dans plusieurs cantons à chaque étape de la semaine pascale.» Il était attendu à Genève vendredi, et il sera présent à Clarens (VD) pour la veillée de samedi soir. Tous les fidèles ne suivent pas forcément ces cérémonies liturgiques précédant Pâques. Certains ne viennent qu’à un seul rendez-vous. Charles Morerod rappelle que l’écrivain catholique Paul Claudel, converti en 1886, avait de la peine à assister aux offices. «J’osais à peine me glisser parmi ceux qui, à chaque vendredi de carême, venaient baiser la couronne d’épines», a-t-il écrit dans un texte sur sa conversion.

«Serviteur de tous»

Le rite du lavement des pieds est un incontournable de la liturgie catholique. «Celui qui veut suivre Jésus, surtout s’il est appelé à exercer l’autorité, doit se faire le serviteur de tous», expliquait le dominicain Jean-Thomas de Beauregard sur le site Aleteia. «Le cléricalisme est dénoncé par Jésus dans l’instant même (…) car il sait que l’abus d’autorité sera la tentation récurrente de ceux que l’Eglise investira du pouvoir de consacrer le pain et le vin à travers l’histoire.»

Les Eglises protestantes ont une attitude plus distante face au lavage de pieds rituel. «Luther, sans l’interdire, moque ce geste tel qu’il est pratiqué par les catholiques et notamment le pape. Les anglicans, un temps séduits, l’abandonnent rapidement. Pour Calvin, cette cérémonie annuelle est «vaine et folle» et, ironiquement, il explique que c’est toute l’année qu’il faut laver les pieds de son prochain» expliquait en 2022 le journal Réforme.

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