La Liberté

Un glacier en mouvement

David Carlier expose ses photographies dans le tunnel du Tälligrat près d’Aletsch

Publié le 03.08.2020

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Art » Le photographe David Carlier, Valaisan d’adoption, est captivé par les glaciers, en particulier celui d’Aletsch, qu’il immortalise sans relâche. Son exposition, Géants en mouvement, installée dans le tunnel du Tälligrat, non loin de la mer de glace, est à voir jusqu’au 25 octobre.

On ne prend vraiment sa mesure que lorsqu’on voit des petits points noirs encordés progresser sur sa surface. Le plus grand glacier des Alpes impressionne par sa taille et par les sillons laissant deviner sa grandeur d’antan. Depuis ici, non loin du lac de Märjela, la vue est imprenable: des inséparables Jungfrau, Mönch et Eiger tout en haut jusqu’à Fiesch à l’autre bout.

Le glacier d’Aletsch «dégage une énergie vraiment imposante de par le fait qu’il a une quantité de glace incroyable. Cette masse rayonne, vibre, vit», explique David Carlier qui photographie les glaciers depuis qu’il est gamin.

Les mensurations de ce colosse dont la vitesse d’écoulement atteint 200 mètres par an à certains endroits ne laissent pas de glace: 23 kilomètres de long, une surface de 86 km2 et un poids total évalué à 11 milliards de tonnes, soit l’équivalent de 72,5 millions de jumbo-jets.

Comme une horloge

Les glaciers sont des géants toujours en mouvement, explique David Carlier, d’où le titre de son projet. Ils coulent vers la vallée formant les torrents, puis rivières, fleuves et lacs, apportant ainsi l’eau douce à la population. «Certes, jusqu’à aujourd’hui le glacier d’Aletsch s’écoulait par gravité en pente douce et désormais il s’évapore dans le ciel, mais il est toujours en mouvement.»

Pour le natif de Genève, le glacier s’apparente de fait à une horloge, autre symbole suisse, qui enregistre un temps différent du nôtre. «Il s’écoule petit à petit sur des millénaires alors que notre vie est très courte en comparaison.» L’horloge de glace se transforme même en machine à remonter le temps, quand lors d’un carottage on découvre les variations environnementales passées.

Pour rejoindre le plus grand glacier des Alpes, il faut traverser le Tälligrattunnel – en version originale –, une ancienne galerie de drainage éclairée par quelques loupiotes dans laquelle on distingue difficilement le sol et les nombreuses flaques qui s’y sont formées. C’est pourtant à l’intérieur de ce boyau long d’un kilomètre que David Carlier a décidé d’installer ses 15 photographies.

Ce tube très sombre qui jouxte le joyau inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco permet d’interpeller le marcheur, quelle que soit sa direction. «S’il se rend au glacier, son périple s’accompagne de petits indices de ce qui l’attend, s’il en revient, il découvre des autres visions de ce qu’il a admiré», détaille l’artiste pour expliquer ce choix original.

L’exposition raconte la beauté du glacier d’Aletsch, sa puissance mais aussi sa vulnérabilité. L’artiste veut utiliser l’esthétisme, un langage universel qui transcende les barrières, les cultures ou les croyances, afin de faire réagir les gens. «Le glacier est encore là, il est superbe, il faut venir le voir tant qu’il existe», insiste-t-il. Et cette approche positive, loin d’une écologie punitive ou agressive, est un bon vecteur de communication pour en parler, selon lui.

Ambiance intimiste

David Carlier, qui se disait autrefois «écolo-désabusé», semble aujourd’hui fataliste lorsqu’il en parle. «Je n’ai pas de tristesse de voir le glacier disparaître. Cela fait partie du cours des choses même si cette disparition s’est accélérée. Pour moi c’est comme aller rendre visite à une grand-mère à l’hospice. Même si on sait qu’elle va inévitablement mourir prochainement, on a quand même du plaisir à venir la voir.»

L’artiste de 47 ans qui habite dans un petit village valaisan travaille à pied ou en survolant le fleuve glaciaire. «J’aime bien avoir ce contraste macro/micro, me poser, descendre dans une crevasse, trouver un sourire dans un rocher.» Abstraits au premier coup d’œil, les clichés montrent les différents visages, de près et de loin, du glacier buriné par les mouvements de la roche, elle-même sculptée par la glace.

Dans le tunnel, les clichés n’ont pas vraiment d’ordre précis, sachant que les marcheurs vont dans les deux sens. Souvent, les photos, imprimées sur des bâches étanches et installées sur des cadres en bois tenus par un caillou, résonnent avec la texture ou la couleur des parois du tunnel. Entre chaque cliché, disposé dans les zones éclairées par un néon, la nuit s’épaissit. «Dans le boyau, on reste un peu dans un songe, avant d’être projeté sur le glacier qui est immense et très lumineux.» ATS

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