pictogramme abonné La Liberté Contenu réservé aux abonnés

Bulle: La Compagnie Imago fidèle aux Rencontres théâtrales

Mise en scène par Sonia Menoud, la troupe bulloise monte L’homme qui, une pièce qui donne corps et voix à des patients atteints de lésions cérébrales et à leurs médecins. A voir jeudi.

La Compagnie Imago fait partie des douze troupes programmées aux Rencontres théâtrales de Bulle. © Charly Rappo
La Compagnie Imago fait partie des douze troupes programmées aux Rencontres théâtrales de Bulle. © Charly Rappo

Elisabeth Haas

Publié le 07.05.2024

Temps de lecture estimé : 7 minutes

C’est toute une humanité qui se révèle: celle des lésés, des fragiles, des timbrés, des bouleversés. La pièce L’homme qui met des visages sur les personnes qui ont dû consulter pour de graves problèmes neurologiques, elle rend leurs difficultés concrètes et suscite donc l’empathie. La Compagnie Imago, mise en scène par Sonia Menoud, en propose une lecture sensible demain à Bulle, dans le cadre des Rencontres théâtrales.

Ce n’est pas un hasard si la troupe s’est intéressée à ce texte. Fidèle depuis toujours aux Rencontres théâtrales, Imago se situe elle-même à un moment charnière où tout peut basculer. Comme dans une vie, où un accident vasculaire cérébral ou de la route rebrasse les cartes… Cette femme a perdu la mémoire immédiate, ses souvenirs se sont arrêtés en 1993 et elle est chaque fois choquée de se voir vieillie dans un miroir; cet homme «néglige», c’est-à-dire ne ressent plus la partie gauche de son corps, il ne voit pas qu’il ne se rase que d’un côté; tandis que cette autre femme est prise d’une impressionnante logorrhée, pleine d’impuissance et de colère, mais les mots qu’elle prononce ne font plus sens.

Pour recréer le lien, se réconcilier avec soi et les autres, Imago a pris soin d’alterner les rôles de patients et de médecins: les actrices et acteurs tantôt enfilent une blouse blanche tantôt s’assoient sur une chaise roulante. «Je ne suis pas folle!» lance l’une. Que l’on soit d’un côté ou de l’autre ne tient qu’à un fil… Avec peu de moyens, quelques accessoires, des panneaux mobiles, des bruitages sur une bande-son, Imago suggère avec tendresse les consciences qui cèdent devant l’abîme.

Teintés d’absurde

La troupe a survécu au décès de son fondateur, Pierre Gremaud, dit Palou. A la traversée du Covid aussi. Sonia Menoud, professionnelle du théâtre, a repris le flambeau en 2013, autant par passion – c’est la troupe de ses débuts – que par conviction – elle croit, comme son fondateur, aux pièces en création, écrites sur mesure, et aux textes forts, teintés d’absurde et de poésie, à l’instar de Lysistrata ou de L’homme qui.

Quasi tous les deux ans, avec la même régularité que les Rencontres théâtrales, «nous faisons quelque chose de différent, chaque fois nous abordons un nouvel univers», s’aventure l’autrice et metteuse en scène. Michel-Stéphane Dupertuis et elle ont signé, en se répartissant l’écriture ou la mise en scène, Enfin seul, Ô Bistrot!, La dernière FM, Afternoon Tea. «Nous répétons intensivement sur quelques mois, pour ne pas nous essouffler», précise Sonia Menoud. Vu l’énergie que le théâtre réclame, chaque production est une victoire. Mais la suite reste en suspens.

«Ils font toutes et tous des efforts extraordinaires, ils ont envie de se surpasser»
Sonia Menoud

Née en 1987, Imago est basée à Bulle: elle répète aux Tréteaux de Chalamala mais n’a pas de lieu de stockage à elle. Comme douze troupes se partagent les coulisses de la scène de l’Hôtel de Ville lors de cette édition des Rencontres théâtrales, impossible d’ailleurs de monter de gros décors, même si le budget l’avait permis. Dans ce milieu qui fonctionne au don de soi et au bénévolat, on pense d’abord à être astucieux. Les forces de chacune et de chacun sont essentielles: «Certains acteurs sont là depuis longtemps, deux nouvelles viennent d’arriver. Ils font toutes et tous des efforts extraordinaires, ils ont envie de se surpasser», salue Sonia Menoud. Cela en plus d’un job, d’une famille.

Un engagement qui se mesure à la fierté et au bonheur d’être allé jusqu’au bout, d’être applaudi. Pour Eric Santarossa: «Le théâtre c’est un exutoire, un vide-tête, un bon stress, un autre monde où je me sens bien, apprécie le comédien. Quand quelqu’un me dit qu’il a passé une bonne soirée en nous regardant, je suis heureux.» Stéfanie Gremaud abonde: «Collaborer, être attentive aux autres, c’est formidable. Avec le théâtre, je peux exprimer quelque chose que je n’ai pas l’habitude d’exprimer.» Sonia Pugin, elle, est particulièrement motivée par l’ambiance et les rires au sein de l’équipe. S’exposer, oui, mais pas trop: «J’aime les petits rôles», sourit-elle.

Sur le fil

Lisa Pittet ne dit pas le contraire: «La troupe est soudée, soutenante, sans jugement.» Une attitude respectueuse qui fait du bien à l’heure actuelle. Surtout quand, comme Caroline Déglise, on fait ses premiers pas: «J’ai toujours une certaine crainte à monter sur scène. C’était mon rêve depuis l’adolescence, je n’avais jamais osé, j’ai sauté le pas grâce à Stéfanie (Gremaud, ndlr).» Quant à Béatrice Kaenel, qui avait déjà fait du théâtre à l’école, se remettre dans le bain était comme se «relier à un bonheur d’enfant».

La comédienne et ses collègues ont particulièrement aimé jouer sur le fil, dans L’homme qui, à la frontière entre le sérieux et le rire, et chercher le ton juste pour évoquer les terres inconnues que sont les lésions cérébrales. C’était pour eux un «défi», avouent-ils. Cette pièce signée Peter Brooke et Marie-Hélène Estienne est inspirée d’un ouvrage de vulgarisation scientifique du neurologue Oliver Sacks, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. «Elle prend une certaine distance, elle tacle volontiers le corps médical», analyse Sonia Menoud.

Le théâtre, donc, est un art de l’équilibre. Sans subvention, la metteuse en scène dit être au bord de l’épuisement. «Les troupes ont besoin de soutien pour exister. Les structures amateures dépendent souvent de professionnels qui les font vivre», rappelle Sonia Menoud, qui dirige par ailleurs aussi sa propre structure, la HighNoon Company, avec qui elle a notamment créé la pièce Souris. Un appel pour que la nouvelle loi sur les affaires culturelles, en phase de révision, tienne compte du dynamisme de la scène amateure et de son rôle social?

Un festival sans compétition

Les Rencontres théâtrales de Bulle s’étaient déjà beaucoup développées lors de leur précédente édition. Toujours à un rythme biennal, elles poursuivent sur cette lancée tout en voyant encore plus grand: en ce week-end prolongé de l’Ascension, pas moins de douze compagnies de théâtre amateur se partageront la scène de l’Hôtel de Ville, du 8 au 11 mai. Les registres sont variés, pour assouvir toutes les curiosités. Les Tréteaux de Chalamala de Bulle ouvrent les feux ce soir, suivis par les patoisants de La Tropa dou Dzubyà de Sorens. Jeudi, la troupe Intrè no jouera également une pièce en patois, avant de céder sa place à la compagnie Effectif réduit puis à Imago. Des troupes invitées d’autres cantons feront le déplacement, Les Enfants de la Rampe depuis Lausanne, jeudi, la compagnie Edelweiss depuis Genève, vendredi, et la compagnie La Truite aussi depuis Genève, samedi.

Vendredi, le Nouveau Théâtre de Nicole Michaud propose Le Revizor de Nicolas Gogol. Enfin, samedi, Les Jouvenscènes interpréteront un grand classique contemporain, Théâtre sans animaux de Jean-Michel Ribes, avant les représentations des Culturés de Châtel-Saint-Denis et, au final, de la compagnie Brosse Adam de Bulle qui se lance dans la création avec Assemblée crimunale. Ce «brassage» de troupes crée «de l’émulation, de la vie», apprécie Viviane Gremaud, secrétaire des Rencontres théâtrales. Pour Michel-Stéphane Dupertuis, président de la compagnie Imago, il est surtout «sans compétition».

Cette édition, les Rencontres théâtrales ne se sont pas seulement contentées d'animations musicales lors des fins de soirées, elles ont également mis en place une nouveauté: la Scène ouverte. Y seront présentées quatre propositions centrées sur les mots et les textes, offertes par Les Hauts parleurs, le duo Zita Félixe, la troupe La Catillon ainsi que Contemuse.

>Je 18 h 30 BulleHôtel de Ville. Programme détaillé www.rencontres-theatrales-bulle.ch

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11