La Liberté

Nouvelle : Réveille-toi

Une lueur au bout du tunnel. La sortie d’une étendue de ténèbres. Elle entrebâille sa porte dans ce recoin de l’esprit et laisse filer sur un sol mou l’ombre tremblotante d’un rai de lumière. Comme une fenêtre sur un ailleurs si réel.

Et lorsqu’il les rouvrit, il la vit. Au fond de ce couloir infini, à l’autre bout de cette distance qui les séparait d’un mètre kilométrique. © Pinterest.fr
Et lorsqu’il les rouvrit, il la vit. Au fond de ce couloir infini, à l’autre bout de cette distance qui les séparait d’un mètre kilométrique. © Pinterest.fr

Kimy Dieu

Publié le 09.03.2024

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Article en ligne – Nouvelle » Ses pensées fleurissaient sur le champ de son esprit, comme mille et une roses aux pétales emportés par le souffle d’un vent hasardeux. Il les suivait dans leur valse, marchait sur les traces lilas et vermeils déposés par les murmures de cette bourrasque venue d’ailleurs. Peut-être lui susurra-t-elle des mots doux pour le pousser ainsi à avancer, à poser un pied après l’autre sur cette route qui ne semblait connaître de fin. Combien de fois en avait-il foulé le sol ? Combien de fois le béton froid et dur de son chemin s’était assoupli sous la rondeur de son sillage ? Nul ne le savait, pourtant, l’écho vibrant de ses pas paraissait chanter à ses oreilles la mélodie d’un déjà-vu lointain. Il avait oublié, oublié des scènes et des sons, des visages et des voix, et de ces fragments qui avaient glissé de sa mémoire, il avait voulu en recomposer tous les morceaux. Mais ses souvenirs s’étaient égarés dans les méandres de son esprit, trop profondément, somnolant silencieusement dans l’attente de leur réveil. Et dans les ronflements de leurs songes, ils bullaient des cauchemars qui menaçaient à chaque instant de l’engouffrer sous leurs eaux sombres, lui, cet homme maudit par l’Oubli, celui qui chassait l’amnésie.

 

Il pleuvait et le ciel pleurait. Lavé sous le torrent de ses larmes, il se tenait debout, à l’angle de cette rue qui avait tant vu, tant vécu. Immobile, son regard dardait de mélancolie ces gens qui couraient pour échapper à la détresse des nuages, ces personnes que la chaleur d’un café avait réunies sous la coupe des discussions d’un soir, et ce groupe qui riait, porté par l’écho de leurs retrouvailles. Ils étaient six, six auquel semblait manquer un sept, et cette pensée fit grimacer de tristesse le spectateur éteint qu’il était. Mais que pouvait-il faire, si ce n’était les observer du coin de cette rue, les regarder s’éloigner inévitablement, inexorablement.

 

La pluie striait sa vision de tant de barreaux, si bien qu’il se retrouva enfermé dans le silence mordant de quatre murs. Ils encadraient son corps, l’enchaînaient à l’intérieur d’un cube aux arêtes traîtresses. On ne sortait pas de son emprise dont l’esprit seul était pourtant le rescapé, le miraculé qui jouissait encore de la liberté du vagabond. Les journées vomissaient leurs heures par à-coups, victimes des maux de l’Ennui. Et pour les guérir, il ne trouva comme seul remède que les griffonnages grelottants d’un compte à rebours sur les parois de sa prison. Trois. La lumière masquait les traits pâles de son âme, illuminait la centième ligne tracée par ses ongles sales. Deux. Il laissa échapper un soupir, fatigué de ne rien faire, las de lassitude. Un. Il ferma les yeux. Pour de bon, voulut-il peut-être y croire.

 

Et lorsqu’il les rouvrit, il la vit. Au fond de ce couloir infini, à l’autre bout de cette distance qui les séparait d’un mètre kilométrique. Elle se tenait devant l’embrasure de cette porte qu’il avait tant cherchée, cette échappatoire qui se cachait dans l’ombre de sa mémoire. Si proche. Si loin. Enveloppée dans la lumière de ce monde qui gisait dans la bulle de son souvenir, elle lui tendait la main, l’enjoignait de la prendre. Alors il courut, il courut jusqu’à en perdre haleine, pas après pas, fuyait lentement le tombeau de sa mémoire. Des ailes lui poussèrent sûrement, et dans son dernier élan, il sembla qu’il l’avait rejointe. Mais sa paume ne rencontra qu’un vide béant, un vide qui lui souffla toutefois deux mots. Réveille-toi.

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